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Une histoire de soumission chimique

Dernière mise à jour : 20 mars


L'affaire Pelicot a fait couler beaucoup d'encre et a bousculé le rapport des Français·es aux agresseurs. Ce procès a mis en lumière un phénomène pourtant ancien : la soumission chimique.


Soumettre chimiquement une personne consiste à la droguer à son insu ou sous la menace à des fins délictuelles ou criminelles. Il peut s'agir de GHB placé dans le verre

de quelqu'un en soirée, d'un homme qui suggère fortement à sa compagne de prendre des médicaments pour « se détendre », ou même de parents qui utilisent du sirop pour endormir leurs enfants. Dans tous les cas, il est question de contraindre la victime à ingérer un médicament ou une drogue à son insu, et ce afin de la plonger dans un état inconscient. Ce procédé est souvent utilisé par des agresseurs souhaitant abuser sexuellement d'une personne.



Sonia est thérapeute en relation d'aide, spécialisée dans la violence psychologique,

les mécanismes pervers narcissiques mais surtout dans la reconstruction de l'estime de soi suite à une ou plusieurs relations toxiques. Elle suit Emmanuelle depuis fin 2023, via des rendez-vous en visioconférence. « J'ai vu tout de suite que c'était une femme qui avait perdu toute confiance en elle, qui était dans les peurs et qui subissait encore

le harcèlement de la part de ce conjoint qu'elle avait eu », affirme-t-elle. Selon elle, il est important de travailler sur soi, même si c'est un chemin long et difficile. « Gus* n'est pas une personne atypique parce qu'il ressemble tellement aux autres manipulateurs, il est stéréotypé ».


Un phénomène méconnu


Dans son témoignage, Gisèle Pelicot, victime de viols sous soumission chimique de la part de son ex-mari et d'une cinquantaine d'autres hommes, affirme avoir consulté

de nombreux professionnels à propos des symptômes associés à ce qu'elle avait subi. Pendant dix ans, elle a ressenti une fatigue chronique, des pertes de mémoires

à répétition et rapportait des douleurs gynécologiques importantes. Aucun professionnel n'a su détecter la soumission chimique. Comment est-ce possible ? 


Pour La Dépêche, « on associe davantage la soumission chimique à l’usage du GHB

(la drogue du violeur), dans un cadre festif, comme en boîte de nuit, qu’à l’usage de médicaments, dans la sphère privée ». Le #BalanceTonBar, lancé en 2021, a permis de mettre en avant la soumission chimique dans le monde de la nuit. Cependant, rien ne permettait de souligner l'ampleur du phénomène dans la sphère familiale et conjugale avant le procès de Mazan. 


« Que ce soit chez les médecins ou les pharmaciens, les professionnels de l’addictovigilance pointent un manque de formation sur ce sujet, pourtant nécessaire, comme le démontrent les chiffres », peut-on lire dans Libération. Plusieurs médecins

et étudiants en médecine y affirment n'avoir jamais entendu parler de la soumission chimique lors de leurs études.


« Il s’agit d’un mode d’agression dont la fréquence est sous évaluée du fait d’une admission souvent tardive et des difficultés d’application des textes », écrivent

Ces médecins affirment, eux aussi, que le phénomène est encore méconnu au sein de la sphère médicale, alors qu'une circulaire sur la prise en charge des victimes de soumission chimique est parue dès 2002. Trois ans plus tard, quatre documents sont publiés, précisant les rôles des médecins cliniciens, des toxicologues analystes et des centres d'évaluation et d'information sur la pharmacodépendance (CEIP) dans l'accompagnement des victimes. Selon les auteurs de l'article, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), anciennement l’Afssaps, a « largement communiqué sur ce dispositif (communiqué de presse en 2005, matinée de presse en 2007, réunions de restitution des résultats en 2003, 2005, 2007 et 2008) ».  


Des effets bien réels


Les substances utilisées pour soumettre chimiquement une victime ont plusieurs objectifs : 

  • la sédation et l'hypnose pour maintenir la victime endormie et évitant tout réveil intempestif

  • la désinhibition émotionnelle, motrice et de censure, ce qui amène les victimes à consentir à des situations et des actes qu'elles n'accepteraient pas en temps normal

  • l'amnésie antérograde, qui contribue à altérer le témoignage des victimes par le doute et la culpabilité

  • des hallucinations, liées à la perte de repères spatio-temporels qui rendent la description des faits peu précise





« La substance "idéale" pour l’agresseur développe de préférence des symptômes cliniques peu spécifiques et ne présente pas d’effets toxiques marqués. Ces caractéristiques limitent l’éveil des soupçons de la victime et contribuent aux erreurs de diagnostic, retardant ainsi la prise en charge et le dépôt de plainte », précise l'Académie nationale de Médecine. Le GHB, couramment nommé « drogue du violeur », est en réalité assez rare. « Son absorption et ses effets sont rapides, quinze à trente minutes » et « moins de 5 % de la dose ingérée sont retrouvés dans les urines », mais il concerne surtout l'usage festif. Dans la sphère privée, il est plus courant d'administrer des antihistaminiques, de l'alcool ou des médicaments de la famille des benzodiazépines, soit les traitements contre l'anxiété, la dépression ou les insomnies. « Les difficultés analytiques sont considérables », souligne l'Académie nationale de Médecine, puisqu'il s'agit de « substances actives à faible dose, dont la demi-vie est courte, qui vont donc présenter une fenêtre de détection étroite et augmenter le risque de faux négatif ».    


Détecter la soumission chimique


Partant de ce constat, la députée Soumya Bourouaha (Gauche démocrate et républicaine) a demandé le 12 novembre 2024 à la ministre de la Santé comment elle comptait améliorer la prise en charge des victimes, prenant appui sur « l'augmentation exponentielle de cas relatés de soumission chimique ». Les résultats d'une enquête menée par l'ANSM, publiés en 2024, vont dans ce sens. Les cas de « soumissions chimiques vraisemblables » ont augmenté de près de 20% entre 2021 et 2022 et les cas de « soumissions chimiques possibles » ont été multipliés par plus de deux dans le même temps. « Beaucoup de victimes connaissent leur agresseur et ceux-ci opèrent dans un cadre privé », rappelle la députée, qui cite l'affaire Pelicot et le cas de Sandrine Josso. « L'Ordre des médecins a récemment argué que les pouvoirs publics devraient rendre plus "accessibles et remboursables" les tests aidant à la détection d'une soumission chimique, d'une valeur de près de 1000 euros », ajoute-t-elle. Le 4 février 2025, le gouvernement lui répond qu'un « amendement parlementaire a été adopté par l'Assemblée nationale afin d'améliorer la détection des situations de soumission chimique et la prise en charge des victimes ». Suivant l'évolution de l'examen du texte, « le Gouvernement pourra donc mettre en place, dans les prochains mois, le cadre permettant l'expérimentation d'une prise en charge des examens permettant la détection d'une soumission chimique en amont du dépôt éventuel d'une plainte », précise-t-il. 


Plusieurs départements devraient expérimenter des kits de détection disponibles en pharmacie sur prescription médicale et remboursés par la Sécurité sociale, comme l'avaient indiqué en novembre 2024 Michel Barnier, puis la ministre de la Santé et de l’accès aux soins Geneviève Darrieusecq. Une décision qui fait suite à un amendement déposé par la députée Sandrine Josso (Les Démocrates), elle-même victime présumée de soumission chimique, qui souhaitait que le kit comporte des « flacons pour recueillir l'urine » et les « adresses utiles comprenant toute la marche à suivre ». 


Problème : il faut agir très rapidement si l'on pense avoir été victime de soumission chimique. Cela suppose que la victime s'en rende compte et qu'elle sache quoi faire. Il est possible d'identifier les substances dans le sang et les urines, mais les délais sont courts. Pour le GHB, il faut compter 6 heures au maximum, et pour les autres produits, le délai peut s'allonger jusqu'à 48 heures. Les traces dans le corps s'effacent « en quelques heures voire quelques jours selon la substance chimique utilisée par l’agresseur », comme l'explique un article de l'Assurance Maladie. Des analyses de cheveux permettent de retracer la présence des substances pendant une période plus longue, allant jusqu'à plusieurs mois. Mais « l'analyse des cheveux est chère (plusieurs centaines d'euros), seuls certains labos spécialisés la font, et elle n'est remboursée que dans le cadre de prélèvements médico-légaux avec une plainte déposée », précise Docteur Zoé dans le Club Mediapart. L'Académie nationale des Médecins juge que la soumission chimique « constitue un problème de santé publique et un trouble à l'ordre public », qui « nécessite une sensibilisation des praticiens amenés à prendre en charge les victimes et les biologiques qui doivent transmettre aux laboratoires de toxicologie équipés et compétents, les échantillons biologiques qui leur sont transmis en cas d'analyse négative ».   


Le Centre de référence sur les agressions facilitées par les substances (CRAFS) a mis en place une plateforme d'aide aux victimes afin qu'elles puissent facilement trouver où et comment réaliser les analyses. Mais là encore, est-ce suffisant ?


Loris Jecko et Claire Thery

Photo : Freepik

 

 
 
 

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