Reconnaître qu’on est une victime : l'angle mort des services d'aide
- Claire Thery

- 5 mars
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 20 mars
Pour appeler à l'aide, il faut déjà prendre conscience de son statut de victime.
Comment repérer que ce que l'on vit au quotidien relève de violences sexistes,
sexuelles ou psychologiques ?
Vigdis Morisse-Herrera, créatrice de Opale.care, n'a pas appelé le 3919 ou le CIDFF, parce qu'elle n'avait pas conscience qu'elle était victime. « J'ai vécu des violences conjugales. Je les ai vues plein de fois, toutes ces affiches de violences conjugales, avec
le numéro 3919. J'ai toujours su que ça existait. Ce que je ne savais pas, c'est que moi j'étais victime. Parce que dans l'imaginaire populaire, une victime de violence conjugale, c'est si possible une femme issue d'un milieu social défavorisé. Si en plus elle est d'origine étrangère, ça passe mieux, si son agresseur l'est aussi, si elle a plein d'enfants et pas de diplôme, alors là, c'est parfait », explique-t-elle. Le problème : on dresse
un portrait robot des victimes, et toutes les personnes qui ne s'y reconnaissent pas
n'ont pas le réflexe de composer le 3919 ou d'autres numéros d'aide.
Une vision biaisée
Pour Vigdis, les biais racistes et classistes donnent une vision déformée de la réalité.
« Faire perdurer l'imaginaire collectif autour de cette typologie de victimes, ça va venir empêcher toutes celles qui ne répondraient pas à ce cliché de s'identifier. Moi par exemple, je suis une femme blanche, j'ai 35 ans, j'ai un bac plus cinq, je suis cheffe d'entreprise. Àaucun moment on ne m'a dit que moi aussi je pouvais être victime », poursuit-elle. Dans cet imaginaire, on note une prédominance des violences physiques. Sur les visuels des campagnes de prévention, on voit des femmes battues, couvertes de bleus. Cependant, les violences psychologiques et la manipulation coercitive sont aussi bien présentes dans la réalité, même si elles ne laissent pas de traces visibles. Le plus souvent, elles précèdent les actes de violence physique. « Vous avez déjà entendu
des phrases comme "à la première gifle, il faut partir". Oh là là, il faut partir bien avant !
J'ai vécu des années de violence psychologique, de contrôle de mon alimentation,
de ma manière de m'habiller », poursuit la cheffe d'entreprise. Pour répondre à
cette problématique qu'elle a elle-même vécue, elle a décidé de lancer Opale.care,
un questionnaire en ligne destiné aux victimes de violences afin qu'elles constatent l'ampleur de ce qu'elles vivent.
Existe-t-il de la violence dans votre couple ?
C'est la question à laquelle la victime potentielle va tenter de répondre. « Opale permet
à chaque personne d’évaluer son exposition aux violences et se voir proposer des solutions adaptées à sa situation gratuitement », lit-on sur la page d'accueil du site.
« Notre volonté n'est pas de nous substituer aux associations. Notre volonté est de permettre à n'importe qui, au moment oùil en a besoin, d'avoir une réponse
à ces questions. Donc, à l'issue du questionnaire, on peut avoir accès à un diagnostic et nous allons reprendre chacune des questions point par point pour voir les questions
qui auraient donné des réponses borderline ».



En tant qu'utilisateur·ice, on nous demande notre genre, notre âge, notre situation
de couple, puis plusieurs questions sont posées vis-à-vis de l'attitude du partenaire
à notre égard ou à celle de nos proches. Chaque question s'accompagne des réponses
« Jamais », « Parfois », « Souvent », «Tout le temps ». Àchaque fois, des exemples sont présentés afin que la victime puisse comparer sa situation avec ce qui est demandé.

Plusieurs profils d'avocates sont également mis en avant pour que les victimes puissent les contacter si besoin.
« La veille du jour oùj'ai lancé Opale, j'ai envoyé à mon cercle plus ou moins proche un lien vers le site avant de le publier au grand public. Le lendemain matin, j'ai regardé mon téléphone et une cousine éloignée m'avait envoyé ses réponses au questionnaire. Elle m'a dit qu'elle avait pris confiance en ce qu'elle ressentait et qu'elle était au commissariat de police. Je me suis effondrée en pleurant dans l'allée, et des messages comme ça, j'en ai tous les jours. Mais d'un autre côté, ça prouve aussi que ça marche », conclut Vigdis.
Àl'occasion du 8 mars, Opale.care a publié les résultats d'une étude menée grâce
aux résultats obtenus par le questionnaire en ligne.
Si vous pensez être victime de violences sexistes, sexuelles ou psychologiques, n'hésitez pas à faire le test. Vous pouvez aussi appeler le 3919, vous tourner vers le CIDFF
de votre région ou contacter le CRAFS (Centre de référence sur les agressions facilitées par les substances). Plusieurs services sont à votre écoute.
Loris Jecko et Claire Thery
Photos : Opale.care, Pexels






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